Petite carte postale de France
(En raison de l'absence de son destinataire, Lily, laquelle goûtait à la vie rêvée de petite voiture indépendante, ce courrier arrive avec un peu de retard. Mais tout rentre dans l'ordre. Lily est revenue !)
Paris, le 15 novembre,
Ma chère Lily,
Nous voilà bien arrivés sous le soleil de Paris. A vrai dire, c’est la tempête et il fait bien froid. Mais rien de bien sérieux pour des enfants de Bosnie... Bref, maintenant, on est au chaud, sains et saufs, un poil mouillés ceci dit. La viande est un peu crue pour leurs petits palais, mais on va régler tout ça. Bienvenue au pays des escargots !
Le voyage fut assez épatant. Première expérience en avion pour certains. Déjà qu’ils étaient ravis de louper l’école. Là, c’était le pompon. Pauvre pilote, une bande de lutins a envahi son cockpit. J’avais soufflé l ‘idée. Grave erreur. Il l’a échappé belle grâce à une hôtesse dévouée qui distribuait gracieusement des sandwichs, du coca et des petits plats... Je me suis même demandée s’ils avaient fait des réserves exprès pour nous... Tant mieux, on avait le ventre plein pour le passage de douane, épique. Mais pourquoi les douaniers ont-ils des sièges si hauts ? Les enfants auraient bien pu passer en douce. Cela aurait été bien moins compliqué pour les papiers. Petit accrochage avec le car sur la Place de l’Etoile. J’aurais bien aimé que tu voies ça. Tu aurais bien rigolé. Les enfants ont pu découvrir les Champs Elysées. Merci Paris, ses chauffards et les lumières de Noël...
Mais nous voilà installés dans des petits dortoirs confortables. Cela me change drôlement du camping habituel. Côté lessives, je ne suis pas au point. Mais, on fait ce qu’on peut.
La semaine peut commencer.
Les journées ressemblent à des doubles marathons... Avec Ema, en coéquipière de relais. J’ai bien réfléchi, 7 enfants, ça fait quand même beaucoup. Je m’arrêterai avant. Et puis, on n’aura pas assez de place dans le coffre. En attendant, je parfais mes techniques subversives d’éducation... Autant être honnête, ça marche pas terrible. Mais, on progresse, et on rigole beaucoup. L’appareil photo fume.
Belle rencontre, Lily. Tant d’enfants de pays différents (France, Palestine, Bosnie), réunis grâce à cette association française. Les cerveaux fument. Nous organisons beaucoup de jeux, d’ateliers de peinture. Un vrai bazar ambulant pour phosphorer sur les Droits de l’Enfant.
Au programme : visites d’écoles, de centres de loisirs, rencontres d’écoliers français, du célèbre Stéphane Hessel qui a signé la Convention internationale des Droits de l’Homme, visite de Paris en bateau mouche. La file d’attente dans la Tour Eiffel n’avait jamais vu autant d’enfants chanter, danser, jouer. Les gardiens nous ont même prié de rester tranquille une minute. Pas facile, crois-moi. Pendant ce temps, j’expliquais (sans cahier, eh, eh...) la vie à Paris, l’histoire de la France, aux enfants de Bosnie. Eclats de rire, langage de petit nègre... Je progresse mais c’est parfois la panique. Heureusement, Ema est un sacré soutien. Voilà une belle amitié qui commence. Tu l’aimeras beaucoup. Elégante, raffinée. Une vraie dame.
Les enfants ne manquent pas de ressources. Dès l’aube, les rires commencent. Quelques bagarres assez spectaculaires aussi. Impressionnant ! Mais, la gestion de conflits... ça me connaît, Lily.
C’est pas le tout, y’a une assiette de frites qui m’attend. Et, Lily, je voudrais bien que tu rentres à la maison. Il nous reste tant de choses à raconter. Tu ne peux pas vadrouiller comme ça dans Sarajevo City. Je ne te laisserai plus toute seule dans ton petit jardin. Je te présenterai cette bande de chenapans si on rentre tous vivants.
Que dis-tu d’un petit tour en Croatie à mon retour ?... Paraît que y’a des trucs épatants là-bas. Une île de 4L, des vieux tracteurs, des policiers un peu corrompus aussi, des voyages en ferry pour les voitures, des poissons succulents, le soleil qui se couche sur la mer, du bon carburant qui fume pas, des cafés à gogo, des livres en français peut-être bien... Encore un petit coin de paradis.
Fais chauffer le moteur, dépoussière tes bougies, huile l’embrayage... J’arrête avant de commettre une grossière erreur de mécanique.
Bons baisers de Paris, ma petite Lily.